Ce matin, nous sommes partis un peu plus tôt que d'habitude (8h15), parce que ça arrangeait notre logeuse si on arrivait un peu plus tôt que prévu cet après-midi (on avait aussi l'option de pédaler plus vite, mais je n'ai pas réussi à convaincre Sandrine). Depuis le temps qu'on se disait qu'il faudrait essayer car peut-être il ferait plus frais... Bah en fait, il fait déjà trop chaud à 8h et on commence déjà à transpirer en chargeant les bagages.
On s'aventure un peu plus dans les montagnes aujourd'hui et on s'éloigne de gros centres urbains. La principale conséquence de ce fait est qu'il y a beaucoup moins de choix de routes. Par exemple, à la sortie de Kakanj, c'est soit autoroute, soit voie rapide, soit un chemin de pierre pas fini avec un gros doute sur l'existence des ponts qui permettrait de traverser la Bosna. Comme on est pas très bons à la nage avec vélo, on a pris la voie rapide. Et on n'était pas les seuls à vélo.

En sortant de l'échangeur de la voie rapide, nous arrêtons également de suivre la Bosna et remontons désormais la petite rivière appelée Lašva. Ici il n'y a qu'une nationale assez étroite et très chargée. C'est pas la panacée mais encore une fois, il faut saluer les conducteurs bosniens qui en voiture ou en camion savent attendre quelques secondes (voire minutes) avant d'avoir l'espace suffisant pour nous doubler.

Ça a l'air de rien dit comme ça, mais il y a beaucoup de pays (comme la France) où pour le conducteur lambda, il est préférable de risquer la vie d'un cycliste plutôt que de perdre trente secondes et devoir ralentir.
L'avantage d'être sur une nationale, c'est qu'il y a des cafés et restaurants partout. Nous nous arrêterons dans la petite agglomération de Dubravica dans un snack bicycle friendly juste à côté d'un vélociste. Au programme: boissons fraîches et exceptionnellement des frites (j'avais envie de frites depuis quinze jours...)!
Toute la route est en faible montée sauf à la fin où ça monte vraiment et ça pique en plein soleil mais la pente raide est assez courte et nous arrivons à Travnik où nous attend Amra notre logeuse pour les trois prochaines nuits, avec qui nous prendrons un verre et discuterons un peu Bosnie-Herzégovine et voyages à vélo.

Travnik est une ancienne capitale régionale de l'Empire Ottoman. Aujourd'hui c'est une petite ville touristique qui attire grâce sa forteresse, sa mosquée colorée, sa rue piétonne et son quartier Plava Voda (Eau Bleue) autour de la rivière Lašva ultra-fraîche très appréciée en été. Celle-ci sert d'ailleurs de frigo à boissons pour les vendeurs et restos voisins. C'est aussi la ville natale de Ivo Andrić, écrivain célèbre et prix Nobel de littérature en 1961.

On est arrivé à Travnik à vélo par 34°C, en sueur, mais après un bon orage, la météo annonce enfin des températures inférieures à 30°C (pour 4-5 jours seulement mais c'est déjà ça de pris). On aura 22°C sous les nuages pour visiter la ville. C'est la première fois depuis le mois de Mai qu'on sort sans transpirer! Depuis les hauteurs, dans l'enceinte de la forteresse, on a une jolie vue sur les montagnes alentours et les nombreux minarets.

À l'oeil on les remarque moins: ce sont les clochers. Par contre, on les entend chaque matin à 6h puis à 17h et 17h30. On a droit à une volée de cloches de plusieurs minutes.

Et comme notre fenètre est juste devant un clocher, nous sommes aux premières loges. On s'était habitués au chant du muezzin, il va falloir qu'on se ré-habitue au son des églises...

Travnik est aussi connue pour son fromage de brebis. Et comme dans toutes les villes du pays, il y a des fabricants de burek, pita et des grills à ćevapi. Il y a aussi un marché de fruits et légumes quotidien où nous avons acheté de délicieuses framboises à un prix dérisoire: 500g pour 2€! Me faisant piquer au même moment par une guêpe, la vendeuse m'a gentiment tendu un sopalin mouillé pour apaiser la piqûre. Trop gentille!

On a trouvé l'équivalent des lokanta en Turquie: en Bosnie-herzégovine ce sont les aščinica (on prononce ash'tchinitsa!). Ce sont ces restaurants sous forme de buffet. Les plats cuisinés pendant des heures sont dans des bacs et on choisit une assiette de l'un ou une demi-assiette de l'autre. Ici pas de menu, il suffit d'aller voir ce qui est en cuisine! On adore. Les tarifs sont bas, la cuisine est comme à la maison. Bon, il n'y a pas toujours beaucoup de légumes mais on trouve au moins des épinards, de la soupe ou des haricots (verts ou blancs, ça dépend).

Sous notre fenêtre à Travnik se trouve une statue de chien Tornjak. C'est l'occasion de parler de ce berger de Bosnie-Herzégovine, trapu, avec beaucoup de poils et paraît-il, très costaud. Il est souvent noir et blanc mais pas uniquement. Dommage qu'on n'en voit pas tant que cela dans les rues. Il faut croire qu'on verra de moins en moins de chiens errants en allant vers l'ouest.

Le beau temps est revenu mais les températures ne sont pas encore remontées, c'est parfait. Une journée à 24°C, au soleil avec un peu de vent frais par moment.
Il y a 70km à faire dont la grande majorité sur la M5, la nationale qui relie Sarajevo à Jajce. Dans les zones montagneuses, comme ici, il n'y a souvent pas d'alternative aux nationales et quand il y en a c'est plus souvent des chemins que des routes et ils proposent des dénivelés exhorbitants. Donc nous sommes principalement sur les nationales qui ne sont pas très larges en Bosnie-Herzégovine, mais plus on s'éloigne de Sarajevo et moins il y a de trafic et les gens roulent toujours très proprement (peut-être un peu trop de téléphone au volant mais sans conséquence pour nous).

Aujourd'hui n'est pas de tout repos, les dix-huits premiers kilomètres montent (ça monte même beaucoup sur 5-6km). Il y a même des zones de travaux qui viennent compliquer l'ascension mais on réussit à franchir la difficulté en un peu plus de deux heures et ensuite ça descend principalement avec de chouettes paysages.
Nous ferons une petite pause dans un bar du petit village de Torlakovac (juste après Babin Potok). Le gérant, comme très souvent, est très aidant et nous remplit nos gourdes avec de l'eau bien fraîche. De là, nous quittons la grande route car de l'autre côté de la rivière Vrbas, l'ancienne voie ferrée a été aménagée et renommée «old rail trail». Ça nous permet de voir un peu plus des gens, interagir avec les habitants et se mettre à jour sur les saisons de culture (framboise, prune, pêche, maïs principalement en ce moment). Mais nous ne restons pas longtemps sur cet itinéraire car tout n'est pas asphalté et nous préférons retourner sur la M5.

Nous arrivons à Jajce, notre étape, vers 14 heures. Il n'y a que deux routes qui arrivent en ville: la M5 et une petite de l'autre côté de la Vrbas. C'est cette option que nous avons choisie. Nous n'étions pas les seuls, il y avait pas mal de circulation mais le plus intriguant c'est que la route traverse les acieries de la ville. Nous sommes passés à quelques mètres des fourneaux avec leurs flammes de plusieurs mètres de hauteur: chaleur et vue impressionnantes!!!.
Ensuite nous ferons des courses pour faire une salade plus tard et nous arriverons tranquillement dans notre nouvel appartement pour trois nuits. Jajce est une destination très prisée des Bosniens et il y a pas mal de choses que nous allons découvrir demain et après-demain.

Jajce est vraiment une belle destination. On a commencé notre exploration par les lacs Plivsko, au Nord-Ouest. L'eau est transparente, la végétation luxuriante et vus du ciel, les lacs sont d'une belle couleur turquoise. Mais le plus surprenant se trouve sur un îlot entre le petit lac et le grand lac. Il y a là une vingtaine de petits moulins en bois construits au dessus d'une cascade à faible pente mais très large.

Ces moulins datent de l'ère ottomane et servaient à moudre les céréales ou le blé noir. Certains fonctionneraient encore! Des passerelles en bois les relient et font le bonheur des touristes comme nous. Tout autour se trouve un joli parc ombragé où certains font carrément cuire un cochon de lait à la broche alimentée par une batterie. Les caisses de bière sont dans l'eau, au frais. Ici le pic-nic, c'est du sérieux!

La rivière Pliva offre vraiment de superbes paysages. Entre les moulins et la ville se trouvent à plusieurs endroits des passerelles de bois permettant de surplomber ou de se rapprocher de plusieurs cascades. En effet ici les cascades se succèdent sur des kilomètres!

Nous avons choisi pour dîner le premier soir, un restaurant qui se situe juste à côté de cascades justement: Konoba Slapovi. Terrasses en escalier pour être au plus près des chutes, spécialités locales: la pancake soufflé recouvert de légumes grillés et de fromage ou le gulaš, c'est une bonne adresse!

Installée au sommet d'une colline à 470 mètres d'altitude, la forteresse de Jajce aurait été construite dès le XIIIème siècle, puis améliorée par les Ottomans. Elle domine toute la ville. Des remparts encerclent toute la vieille ville dont l'accès ne peut se faire qu'à travers de grandes portes en pierre.

Une chapelle a été creusée dans la roche au XVème siècle. Elle aurait dû abriter les dépouilles de la famille royale mais ce ne fut jamais le cas. Par contre, cet endroit a servi de léproserie, c'est-à-dire un lieu d'isolement pour les lépreux. Il aurait aussi servi de refuge à Tito. Enfin, vu le secret qui l'entourait, il y a beaucoup de rumeurs à son sujet et peu sont avérées...

La Pliva, encore elle, se jette dans le fleuve Vrbas en plein milieu du centre-ville de Jajce. Le spectacle est impressionnant: une cascade de vingt et un mètres de hauteur surplombée par la citadelle et au milieu, la vieille ville. Décidément, Jajce est un havre de nature bien agréable, surtout en été.

Ici, tu peux voir la vue à 360° prise au-dessus des lacs de Plivsko.

Nous continuons notre périple le long de la Vrbas. Sauf que, au moment d'enfourcher le tandem, on se rend compte que la roue arrière est fortement dégonflée (une fois qu'on a chargé entièrement le vélo et qu'on a rendu les clefs de l'appartement). On pourrait regonfler et espérer que ça tienne 70km mais on préfère ne pas prendre de risque et on choisit de changer de chambre à air. Quarante-cinq minutes plus tard, nous démarrons finalement avec les mains dégueulasses.

Nous devons traverser Jajce, descendre à la hauteur de la Vrbas (soit 21m plus bas que le centre-ville pour ceux qui ont suivi), prendre un petit pont puis remonter jusque la nationale M16 qui est la seule route possible pour se rendre à Banja Luka. Sauf que à la sortie de la vieille ville, le GPS voulait nous faire passer par une charmante rue en escalier. Très jolie mais peu pratique... Alors il faut improviser un détour d'un kilomètre car toutes les rues sont en sens unique et le dénivelé ne facilite pas l'orientation. On perd encore un peu de temps mais on s'en sort.

Une fois sur la nationale, c'est facile, on descend la Vrbas. La route est relativement large, le trafic relativement faible et surtout il n'y a quasiment pas de camions. Toute cette portion de la Vrbas est enclavée dans un magnifique canyon d'une centaine de mètres de hauteur. La route est super bien aménagée avec plein de petits tunnels pour éviter de suivre les méandres du fleuve.
Comme c'est abrupt, il n'y a quasiment aucune habitation, ni commerce. Alors au km27, lorsqu'on aperçoit un motel, on s'arrête et on n'est pas les seuls. Ici il y a les pêcheurs, les motards, les touristes et les cyclistes. On fera là une petite pause avec Davide, un cycliste italien qui fait le même trajet que nous mais dans l'autre sens. On rencontre aussi un couple de Hollandais voyageant à moto et qui, dans le passé, ont fait le tour de l'Europe à vélo, comme nous.

Ensuite, il y a un méandre un peu trop gros pour faire un tunnel donc la route coupe mais ça implique de grimper au-dessus du canyon avant de redescendre! La vue là-haut vaut l'effort. Par contre, à partir de là, la route est beaucoup plus étroite et certaines voitures ont du mal à gérer ce rétrécissement. Quelques Autrichiens nous doublent un peu n'importe comment et il y aura même un petit accident (dans lequel nous n'étions pas impliqués). Il faut dire que la route est très sinueuse et comme les automobilistes n'aiment pas trop ralentir, ils sont souvent déportés dans les virages et comme ici, c'est particulièrement étroit, il y a des accrochages. Heureusement pas pour nous et nous sortons de la M16 à Rekavice.

Nous faisons une seconde pause, plus courte, et depuis Rekavice, il existe une route secondaire de l'autre côté de la Vrbas. Nous la prenons et c'est beaucoup plus calme. Ça nous amène à Banja Luka, la capitale de facto de la République Serbe (qui est une région de la Bosnie-Herzégovine, c'est compliqué la politique ici). Nous arrivons vers 16h dans un appartement aménagé dans un ancien magasin (donc de plein pied, parfait pour le vélo) où nous resterons trois nuits pour visiter cette ville qui est la deuxième plus grande du pays.